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Quand le BTP devient une histoire de famille

Dans ce troisième numéro de la série « Femme & BTP », nous vous proposons de découvrir un portrait croisé entre deux femmes qui ont choisi de s’épanouir dans le BTP. Marie et Mélanie, toutes deux conductrices d’engins, poids lourds et polyvalentes dans leurs missions.
Leur déclic ? La famille. 

5 minutes

Peux-tu te présenter ?

Marie : « Je m’appelle Marie, j’ai 29 ans et je suis conductrice d’engins et poids lourds. Je suis employée dans la carrière de mon père. Ma mère assure le rôle de secrétaire. On fait autant de la mécanique et de l’entretien d’engins, que de l’extraction : tire de mines, concassage, bris de roches. Puis la livraison sur les chantiers. On fait tout de A à Z. « 

Mélanie : « Je m’appelle Mélanie, j’ai 21 ans. Je suis conductrice poids lourd, de bennes plus précisément. Je ramène des cailloux, du béton, des éléments sur palettes. Pour faire simple, je transporte tout ce qui sert à alimenter les chantiers. »

Femme & BTP - interview
« Je ne regrette pas du tout mon choix et mon but c’est de reprendre la carrière, lorsque mon père partira à la retraite.  » Marie. 

C'est quoi ton histoire ?

Marie : « C’est mon grand-père qui a créé l’entreprise dans les années 70. Mon père a eu 4 filles, et il ne pensait pas une seconde qu’il y en aurait une qui reprendrait l’affaire.

J’ai fait 2 ans dans la plomberie durant mon BEP, j’ai arrêté, car mes profs voulaient que je passe le bac pour aller dans les bureaux, alors que moi ce qui me plaisait, c’était d’aller sur le terrainDu jour au lendemain je me suis dit  » pourquoi ne pas travailler avec mon père ? ». À l’origine, ça ne m’intéressait absolument pas, et le jour de la rentrée de mon CAP conductrice d’engins, j’ai eu mon déclic et c’est là où je me suis aperçue que c’était ma passion !

Je travaille avec mon père depuis 2009. J’ai fait un CAP conductrice d’engins pendant 2 ans et après j’ai fait un CAP conductrice routière, pendant 1 an. Ça fait 10 ans que je suis salariée.

Au début quand j’ai dit à mon père que je voulais travailler dans la carrière, il ne savait pas où ça allait mener. Finalement, je sais qu’il est super content, même s’il ne le me dit pas spécialement. Ce n’est pas comme si j’étais une feignasse : je me donne vraiment à fond. « 

Mélanie : « Quand j’étais petite, je suis partie une fois en camion avec mon père. Je devais avoir 6 ans. Quand je suis rentrée chez moi, j’ai dit à mes parents : « quand je serais grande je veux faire la même chose que papa ». Je n’ai pas tellement vu de filles quand il m’emmenait avec lui. Alors, je me souviens lui avoir dit :  » Moi je veux être une fille qui fait ça, je veux être conductrice d’engins ! ». Mes parents ont pensé que ça passerait avec le temps, mais finalement ça n’est jamais passé.  

Maintenant, ça fait 4 ans que je fais ce métier. J’ai passé un diplôme express pour avoir les permis : un bac pro conducteur·trice routier. Ensuite, j’ai fait un BTS qui m’a permis d’avoir la capacité de transporter. Puis, j’ai fait 1 an dans un bureau et je suis retournée dans les camions. En soi, j’ai seulement le permis poids lourd et super lourd.

Mon grand-père conduisait des camions, mon père et mon grand frère aujourd’hui font ça également. C’est une véritable histoire de famille !
Ma famille n’a jamais douté de moi, mais moi je doutais beaucoup en mes capacités. J’ai raté plusieurs fois mes permis. Pour moi, ne pas les avoir du premier coup c’était une preuve que je n’étais pas capable de faire ce que je voulais faire. Ce qui m’a fait persévérer, c’est lorsque mon grand père est décédé. Je me suis dit qu’il fallait que j’aille jusqu’au bout, quoi qu’il arrive, que je devienne conductrice d’engins pour qu’il soit fier de moi. »  

« Je ne me suis jamais dit que je me suis trompée de voie. Ça ne m’a jamais traversé l’esprit. Je suis beaucoup trop heureuse d’aller au travail le matin. » Mélanie.

Pourquoi t'aimes ton boulot ?

Marie : « Ce qui m’intéresse le plus c’est d’être polyvalente. C’est vrai que de conduire un camion toute la journée ou bien la pelle ça ne m’intéresse pas.
Faire des choses différentes tout le temps, c’est vraiment chouette ! Le fait qu’on soit que deux dans l’entreprise, ça me permet d’être touche-à-tout. De toute façon mon père ne me donne pas le choix ! Lorsqu’il est parti en vacances, il a fallu que je me débrouille seule.


Ce que je préfère le plus dans mon quotidien, c’est la relation avec le client. De leur donner des conseils, les servir et qu’ils soient satisfaits. Que ce soit pour des clients qui viennent pour 3 cailloux ou bien pour 200 tonnes, je prendrai le même temps : c’est vraiment cette relation client, et de conseil qui me plait le plus.

J’essaie de travailler la communication de l’entreprise, avec notre page Facebook Carrière Semenou père & fille notamment. Ça nous a permis d’atteindre des clients qui préfèrent travailler avec une structure familiale, plutôt qu’avec une grosse entreprise. 

Femme & BTP - interview
J’aime vraiment ce côté touche-à-tout : utiliser la pelle, charger le camion,  concasser, livrer au client : ce sont mes journées! À la fin de l’année, je passe le CPT, c’est le diplôme pour faire du Tir de Mine toute seule. » « 

Mélanie :  » Ce qui me fait me lever le matin, c’est mon camion. La route. Ma liberté ! Lorsque je conduis, je suis toute seule, je n’ai pas un patron qui est derrière moi, en me disant « fais ci, fais ça ». 

J’organise mes journées de travail en fonction de ce qu’on me demande. Je ne fais pas que du camion. Dans l’entreprise, je suis amenée à charger et décharger les éléments en carrière, prendre parfois la mini ou la grosse pelle pour décharger le camion. Je suis polyvalente, oui, et c’est ce qui me plaît dans mon travail. 

J’ai toujours aimé travailler dehors, en extérieur. Pas enfermé dans un bureau. J’aime le fait d’être dans la poussière, les cailloux, sur le chantier. »
Femme & BTP - interview

Conductrice d'engins, c'est un métier accessible à tous·tes ?

Mélanie : « En soi, je ne pense pas qu’il faille une condition physique particulière. Moi-même, je ne me sens pas non plus comme Hulk. Je sais que je n’ai pas trop de force.



Il ne faut pas hésiter à demander de l’aide si on n’arrive pas à porter quelque chose. C’est vrai qu’en tant que femme, il y a des tâches qu’on ne peut pas faire toute seule. Des tâches qu’un homme, lui, ferait tout seul. Je sais que lorsque j’ai des difficultés – comme ouvrir certaines portes des camions – je n’hésite pas à demander.

Si je reçois des réflexions, je réponds en disant « écoutez, je ne suis pas Hulk. Ok j’ai choisi un métier d’homme, mais je n’ai pas la force d’un homme non plus ».
Il n’y a pas de honte pour moi à demander de l’aide. »

Comment est accueillie une femme dans un monde plutôt masculin ?

Marie : « Toutes les personnes d’un certain âge qui étaient les clients de mon grand-père, sont heureux de voir que la petite-fille reprend l’entreprise. La population qui est la plus difficile, c’est la jeune génération. Certains sont très machistes.
En plomberie, c’était pire! Quand j’arrivais sur le chantier pour réparer quelque chose, parfois le client me regardait en me faisant comprendre que j’allais faire une connerie. 

J’ai deux souvenirs qui me reviennent par rapport à ce sujet : 

Le premier mauvais souvenir, c’est un homme – beau gosse, torse nu – qui arrive et qui ne voulait pas que je charge le camion parce que j’étais une fille. Il n’a pas eu le choix :  j’étais toute seule.

Une autre fois, j’arrive sur le chantier. Un homme a cru que j’étais la femme de ménage. Il me dit « une blonde aux yeux bleus, ça reste à la maison à faire le ménage, ou à s’occuper des gosses ». 
J’ai un franc parlé, je suis obligée de les envoyer bouler. Les autres qui ont regardé la scène se passer m’ont dit « c’est bien tu as bien fait ». Néanmoins, quand j’étais en arrêt maternité, mes clients me réclamaient à mon père. Et même pendant le confinement. Le fait qu’ils demandent « Où est Marie ? » ça fait vraiment plaisir, et ça montre qu’on est reconnu et apprécié pour son travail ! Quand mon père dit au client qu’il est vraiment fier de moi,  là je suis plus que jamais convaincue que je suis à ma place.
« 

Mélanie : « Il y a eu des débuts difficiles. Maintenant c’est mieux, car je travaille souvent avec les mêmes personnes, donc ils me connaissent. Néanmoins, on m’a déjà dit « tu as choisi un métier d’homme, alors fais le jusqu’au bout ! ».

Quand je me retrouve dans cette situation, je ne me laisse pas faire et je réponds! On m’a déjà dit que la place de la femme était dans la cuisine, pas au volant d’un camion. 


Oui oui, ça existe encore, mais ce sont souvent des personnes d’une tranche d’âge avancée. Je peux un peu plus comprendre pourquoi ils disent cela. À l’époque, lorsqu’ils ont commencé, ce n’était pas concevable de voir une femme dans un camion.
Il y a une nette progression de femmes en tant que conductrice d’engins. J’ai déjà rencontré d’autres femmes qui font le même métier que moi. Ce n’était pas vraiment le cas au début, mais plus le temps passe, plus j’en vois. 
Et parfois même des femmes qui ont la quarantaine, et qui me disent qu’elles ont fait une reconversion. Elles ont souhaité se reconvertir, car lorsqu’elles étaient plus jeunes et qu’elles voulaient déjà faire ça, on leur a dit que ça n’était pas un métier pour les femmes.



Quand on est une femme, il ne faut pas hésiter à aller dans ces métiers-là, même si c’est pour une reconversion. Si c’est vraiment ce qu’on veut, on y arrive quelle que soit sa corpulence, son âge ou sa taille. Et surtout, n’écoutez pas les réflexions qu’on pourra vous faire : car des réflexions, il y en aura toujours !« 

Selon toi, quelles sont les qualités à avoir pour exercer ce métier ?

Marie

➮ Être polyvalent·e

➮ Être pro-actif·ve 

➮ Ne pas avoir peur de se salir, ni de se casser un ongle

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Mélanie

➮ Avoir le sens de l’orientation

➮ Être capable de se concentrer longtemps sur la même chose 

➮ Être minutieux·se

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