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Devenir charpentière par
conviction écologique

Nous continuons notre travail débuté en 2021 qui consistait à stopper les stéréotypes de genre dans le BTP en interrogeant des femmes sur leur choix de carrière. L’année 2022 ouvre la voie à une série d’interviews toujours plus inspirantes, d’hommes et de femmes, qui façonnent le monde du BTP d’aujourd’hui et de demain, pour les jeunes générations. Une nouvelle vision du BTP pour leur donner des pistes d’appropriations de métiers sous-estimés et encore trop jugés.

8 minutes

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Adeline, j’ai 30 ans. J’ai travaillé plusieurs années dans le milieu culturel, en billetterie dans des salles de spectacles et, à la suite d’une démission, j’ai eu envie de faire quelque chose de plus concret, avec mes mains et en extérieur.
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Ça faisait quelques années que j’aidais des copains à retaper leur maison. Et parce que le bois m’a toujours plu, je me suis renseignée sur les métiers de la charpente.


J’ai ainsi fait un CAP charpente, avec une entreprise dans laquelle je suis encore actuellement : Marbreil Charpente. À la suite de mon CAP, ils m’ont proposé de poursuivre sur un BTS SCBH (système constructif bois et habitation) qui permet d’acquérir des connaissances sur les calculs de charges, les dimensionnements de la charpente, les
essences de bois pour chaque situation, etc. Tout concernant l’ossature bois et l’habitation, ainsi que la partie administrative (devis, suivi de chantier, etc.). L’objectif avec ce diplôme est de faire les projets de A à Z, du devis à la production sur chantier, et le suivi jusqu’à la livraison de l’ouvrage fini.

Marbreil Charpente est une toute petite structure.
Nous sommes cinq actuellement : 2 patrons (un couvreur et un charpentier) et 3 apprentis (2 CAP charpente et moi en BTS).

Moi, j’ai une double casquette : je fais moitié bureau, moitié chantiers, grâce à ma double compétence.

J’aurai pu faire seulement le CAP et évoluer en interne ensuite pour accéder à la partie administrative que j’apprends maintenant avec le BTS. Ça aurait été possible. Le seul problème, c’est que comme tout métier, le BTP ça va vite. On n’a pas forcément le temps de se former au fil de l’eau, en interne, car il y a toujours du boulot. On n’a jamais trop le temps de transmettre des connaissances, si ce n’est pas dans un cadre prévu.

C’est quoi ton quotidien ? Ton métier ?

Mon quotidien est assez varié. Dans mon entreprise, on fait de l’ossature bois, de la charpente et de la couverture. On peut être amené à travailler sur du neuf, alors on part de zéro, simplement d’une dalle de béton. Et quand on repart, le gros œuvre est fini : la maison est en place (ossature, bardage, couverture). Sinon on peut venir travailler par petites touches, sur des réparations ponctuelles ou des extensions sur une habitation existante. Le fait d’être dans une petite équipe me permet d’être beaucoup plus polyvalente que dans une grosse entreprise. Finalement, dans l’équipe on a un seul couvreur, mais on est tous un peu les deux: charpentier·ière/couvreur·euse. Quand on a besoin de bras, même si ce n’est pas notre métier de base, on est là et on donne un coup de main pour étaler les tuiles par exemple. C’est ce que j’apprécie beaucoup dans mon travail. Je ne sais jamais à quoi vont ressembler mes journées, mais je sais qu’elles seront toutes différentes.

Si tu n’avais pas aidé tes copains à réaliser leurs maisons, te serais-tu ouverte à cette opportunité ?

Avant de travailler sur des maisons pour mes amis, je ne m’étais jamais dit que je deviendrai charpentière.
Néanmoins, avec le recul, j’ai grandi dans une famille dans laquelle on bricolait beaucoup. Mon intérêt pour les métiers manuels ou la construction ne vient évidemment pas de nul part.
Je pense avoir un terreau familial qui fait que j’ai trouvé ça assez normal d’envisager devenir charpentière. Mais j’ai encore du mal à trouver cela légitime de me donner ce titre là. Souvent, je précise que je suis encore en apprentissage, car je me sens encore trop jeune dans le domaine. J’ai fait un CAP en 1 an, vu que j’avais déjà un niveau licence. Mais un an c’est hyper court ! En un an j’ai du mal à trouver qu’on peut prétendre connaître un métier.
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Tu te dis en manque de légitimité, mais comment ton savoir faire est accueilli dans ta boîte ?

J’ai contacté cette boîte là car c’est une des seules qui travaille essentiellement avec des matériaux écologiques, avec du bois local et non traité. J’ai été très bien accueillie du fait aussi peut-être de leur ouverture d’esprit.
Le fait que je sois une femme n’a jamais été un point relevé.
Peut-être que cela a été un questionnement pour eux, mais ils ne me l’ont pas du tout fait sentir. Finalement, c’est certain qu’il y a un questionnement derrière puisque en tant que charpentière, il y a des moments où il faut soulever de gros bouts de bois, et ce n’est pas sur ces tâches que je suis la plus pertinente avec mes 50 kg. Un bastaing de 25 kg ça fait directement la moitié de mon poids.

Alors, la phrase favorite de mon patron est: « Quand on n’est pas fort, on est intelligent« .

Il y a toujours moyen de déplacer des choses qui sont trop lourdes de manière détournée.
Les métiers de charpentier et de couvreur sont vraiment des métiers d’équipe. On n’est jamais seul·e. On a tous notre pierre à apporter au groupe. Moi, il y a des tâches pour lesquelles je suis très efficace parce que je suis petite et rapide. Je passe partout. Et il y a
des tâches, par exemple, quand il faut lever des solives, sur l’épaule, à l’échelle, pour lesquelles je ne suis pas la plus appropriée. Mais c’est pas grave, parce qu’il y a tellement de tâches différentes à faire sur une maison, qu’il faut juste avoir une équipe équilibrée en compétences. Comme dans toutes les équipes finalement.
Néanmoins je fais toutes les tâches, même si je ne suis pas aussi rapide que les costauds.
Du coup j’ai vu mon corps changé. J’ai pris de la masse musculaire. J’étais déjà relativement sportive, mais j’ai plus de bras. Ce qui est certain, c’est que je n’aurai jamais assez de force pour
égaler un homme de 90 kg en termes de porté de charges.

Tu gères comment le fait d’être dans un environnement majoritairement masculin ?

Je suis la seule fille, et je suis la première fille avec qui pas mal de mes collègues travaillent. En charpente, c’est assez peu commun.
La première réaction d’à peu près tout le monde quand tu te présente à des personnes que tu ne connais pas et que tu leur dis que tu es charpentière, c’est “ha oui ? et vous faites les devis ?”. Alors je dois leur expliquer que non, je travaille sur le chantier.
C’est assez agaçant de devoir se justifier tout le temps de ne pas être dans la partie administrative, en tout cas, pas seulement ! J’ai l’impression que je dois tout le temps prouver que je peux faire aussi bien qu’un homme. Pas forcément au niveau de mon équipe, mais de moi, personnellement.
Quand je fais une tâche qui est nouvelle, que je ne connais pas, ou en dehors de ma zone de confort, je me dis qu’il faut que je fasse aussi bien qu’un homme. C’est pénible de se dire ça à soi-même.

Ça fait réagir assez régulièrement les clients chez qui on travaille, de façon positive, quand ils voient arriver l’équipe sur le chantier avec une fille.
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Ce que j’avais ressenti en CAP c’était le fait de te dire “si je n’y arrive pas, ce n’est pas que moi qui échoue, ce sont toutes les femmes”. J’avais l’impression de devoir, par moi-même, prouver qu’on peut toutes devenir charpentières. Quand j’ai commencé à dire autour de moi que je me lançais dans ce métier, les gens de ma génération étaient très enthousiastes à cette idée. Au contraire, la génération de mes parents m’a proposé d’être plutôt dans les bureaux, de participer à la conception, etc. On voit l’évolution des mentalités.

Ton choix de métier a-t-il un lien avec une prise de conscience écologique ?

C’est ma conscience écologique (et mon raz le bol) qui a dicté mon choix.
Je ne suis pas du tout OK pour aller travailler dans une boîte qui travaille avec du bois traité toute l’année. Si je n’avais pas trouvé cette structure là, peut-être que mon projet n’aurait jamais abouti.
Dans mon ancien boulot, j’ai un peu eu une perte de sens à un moment, par rapport à ce que je faisais et où on va collectivement. Ce que je peux faire moi, à mon échelle.

Quand je me suis rendu compte que je voulais être sur les chantiers, je me suis dit que c’était une belle façon de contribuer au développement de l’habitat plus propre, plus respectueux de l’environnement, moins énergivore. J’avais l’impression que je pouvais contribuer à la transition écologique.

Comment être sûr que construire en bois c’est écologique ?

Il n’y a pas mille façons de construire une maison dans nos régions. C’est soit du béton, soit du bois (trop rarement de la paille, de la terre …).
Le sable, ça ne se régénère pas en 30 ans. Alors que le bois, oui.

Il y a toute une filière de production à travailler et à améliorer par rapport au fonctionnement actuel. Mais c’est de base mieux de construire en bois qu’en béton. Nous faisons en sorte d’utiliser des bois de productions locales. Et non pas des bois produits en France pour être vendus à la Chine et revenir ensuite sur le marché français à des prix plus bas que le bois qui n’a pas voyagé en cargo.

C’est comme ça que j’arrive à tranquilliser ma conscience.

Qu’est-ce qui a été mis en place, par l’entreprise qui t’a recruté, pour t’accueillir ?

Les premiers mois ont été durs.
Le changement entre le monde de la culture et le monde du BTP a été rude : que ce soit sur la façon de dire ce qui ne va pas, sur le rythme de travail et l’effort physique, mais aussi sur la réalité de la vie, ça a été un cap à passer pour bien s’intégrer.
Par exemple, dans le BTP on va te dire “ça ne va pas. Recommence”.

Alors que dans la culture, on va t’envoyer un mail pour te dire “ c’est très bien maison est habitué à mieux… la prochaine fois, il faudra faire attention à…”. Tout est très détourné dans la culture, alors que dans le btp on va droit au but. Ce qui déstabilise au début, quand on n’est pas habitué à recevoir les choses de manière crue.
La façon de mettre la pression est très différente aussi : ils sont directement dans ton dos pour te dire « Allez, faut que ça torpille ! ». Mais ils ont constaté que sur moi, ce type de management ne fonctionnait pas du tout.
Je me mets déjà une pression toute seule. Si quelqu’un me met une pression supplémentaire, je commence à faire des bêtises.
L’entreprise a su mettre en place de nouveaux processus pour bien m’intégrer.
Par exemple, quand je rentrais après 1 semaine en formation, à chaque fois, je prenais une éponge et je donnais un coup un peu partout.
L’entreprise s’en est vite aperçue. Du coup, ils ont mis en place un planning pour que ce ne soit jamais la même personne de suite qui nettoie les parties communes.

Ensuite, j’ai adapté mon plan de travail à ma taille. Après avoir eu de grosses tendinite aux coudes, j’ai assez rapidement fait des trétaux plus bas pour adapter mon poste de travail. J’ai dû les baisser de 10 à 15 centimètres pour qu’il soit adapté à ma taille. Cela m’a permis de travailler dans de bonnes conditions physiques, et du coup, d’être plus productive.
Enfin, ce qui n’est pas pratique d’être une fille sur les chantiers sur lesquels nous sommes, il faut bien le dire, c’est l’accès aux toilettes. Quand le chantier est en campagne, tu arrives à te débrouiller pour trouver un coin.
Mais quand tu es en ville et que le midi on mange dans le camion, sans avoir accès aux toilettes de nos clients, c’est plus compliqué à gérer même si c’est arrivé peu de fois.
Du coup j’en avais discuté avec mon entreprise pour qu’ils comprennent ma situation, et se mettent à ma place. Ils étaient tout à fait conscients des choses et ont mis en place des toilettes sèches à base de sciure (on n’en manque pas à l’atelier) de bois transportables sur nos chantiers.

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